DU POIDS DU CLERGE
Dans l'Iran prémoderne, « la cohésion de l'espace et de la société urbaines était moins assurée par le pouvoir politique ou celui des marchands que par le clergé chi'ite ». Nos auteurs attribuent déjà, de manière injustifiée et au détriment des éléments séculiers, un rôle exagéré aux religieux dans la structuration de la société urbaine, passant par pertes et profits la structure même de l'urbanisation polycentrique; les relations de clientélisme que cette forme de l'espace urbaine exprimait; les familles étendues où se perpétuaient parfois les structures segmentaires...
La modernisation aurait beaucoup réduit le poids du clergé dans la société, mais lui aurait laissé le privilège exorbitant de former jusqu'à la révolution de 1979 le seul « groupe social faisant fonction d'intelligentsia produisant collectivement un discours normatif et critique sur la société ». L'émergence de l'intelligentsia moderne, qui remonte à la fin du XIXe siècle, ainsi que son énorme influence tout au cours de l'histoire de ce siècle se trouvent rayées d'un trait de plume.
Seuls trouvent grâce les mollahs ou les intellectuels islamistes, présentés, grâce à des omissions significatives, sous leur meilleur jour toujours au détriment des laïcs.
L'ayatollah Motahhari, fidèle élève de Khomeiny et l'un des apologistes de la république islamique, nous est décrit avec une naïveté déconcertante comme « l'un des penseurs les plus éminents de l'Iran » !
Djalal Ale-Ahmad, polémiste et médiocre écrivain qui a commencé sa carrière dans les rangs du parti communiste pour passer chez les mossadeghistes de gauche et finir dans la mouvance islamiste et anti-moderniste, est l'intellectuel le plus cité, et toujours couvert d'éloges.
Quant à Shariati, intellectuel et prédicateur islamiste qui a bénéficié d'une grande audience sous le régime du Shah, nos auteurs, qui traitent plus d'une fois de sa vie et de ses idées, oublient chaque fois de faire la plus petite allusion à sa manipulation par la Savak, qui espérait, en lui concédant une grande liberté de prêche, l'utiliser — avec les résultats que l'on connaît — contre les extrémistes de gauche. Cela est d'autant plus surprenant que Djalal Matini, ancien professeur et collègue de Shariati à l'université de Mashad, qui a suivi de près la carrière de celui-ci et qui vit en exil, a rendu public tout ce qu'il connaissait sur cette histoire.